Querelle de Dom Juan
Dates 1665 |
Titre(s) endogène(s) Observations sur la comédie de Molière intitulée « le Festin de pierre » (Rochemont) |
Fiche rédigée par Alain Viala . Dernière mise à jour le 24 December 2014.
Synopsis
Synopsis
Après l’interdiction du Tartuffe, Molière lance une pièce à machines, sur le sujet de Don Juan : Le Festin de pierre. Les documents existants montrent qu’il l’a conçue comme une pièce spectaculaire : des décors pour chaque acte ont été commandés à des peintres attitrés de la compagnie. La pièce débute avec succès en février 1665 ; une demande de privilège est déposée début mars. Mais après la période de relâche due aux fêtes de Pâques, elle n’est pas remise à l’affiche. Elle fait l’objet en avril d’une attaque par un pamphlet, les Observations sur la comédie de Molière intitulée Le Festin de pierre, signé d’un « sieur de Rochemont » dont on ne sait par ailleurs rien. Dans l’été qui suit surviennent deux réponses à ces Observations, l’une sous le titre de Réponse, et anonyme, l’autre sous celui de Lettre, anonyme mais qui semble pouvoir être attribuée à Donneau de Visé (écrivain, critique, polémiste et un peu plus tard fondateur et directeur du Mercure galant).
La pièce de Molière n’est pas non plus éditée, même si le privilège en a été enregistré. En 1677, après le décès de Molière, sa veuve en fait faire une version édulcorée et en vers, par Thomas Corneille, pour la reprendre. Puis paraissent en 1682 les Œuvres de Molière, avec une version expurgée de Dom Juan ou le festin de pierre. Un libraire hollandais publie le texte d’origine l’année suivante.
Il y a donc bien une structure de querelle, avec attaque et réponse. L’attaque porte sur l’impiété imputée à Molière et dont sa pièce serait un moyen de propagande.
Il n’y a pas eu d’intervention d’autorité pour interdire la pièce, ni son édition, même si Molière a abandonné les représentations ainsi que l’édition imprimée. Auto-censure ou négligence ou manque de temps…?
Enjeux
Enjeux
Les enjeux sont ici au nombre de trois :
- la disparition d’une œuvre, sur une assez longue durée.
- Les modifications du texte de cette œuvre.
- L’accusation d’impiété, plus précisément de libertinage. Celle-ci semble l’enjeu majeur, mais il est bon de considérer les deux autres pour disposer d’une base tangible pour évaluer cette dimension de la querelle.
Dans son édition Pléiade des Oeuvres de Molière, G. Forestier, constatant qu’il n’y a eu aucune intervention d’autorités pour empêcher ou interdire la pièce, estime que si Molière ne l’a pas reprise après une interruption saisonnière normale cela est dû aux circonstances de la vie théâtrale, et s’il ne l’a pas éditée, à un conflit survenu entre lui et son éditeur, puis à sa mort advenue peu après. Les débats sur les significations religieuses de la pièce ne seraient donc pas à l’origine de sa disparition assez longue de la scène et de l’imprimé. Cette argumentation se fonde sur des données factuelles et importantes, et elle établit qu’il n’y a pas eu une « censure » de Dom Juan, en termes institutionnels.
Cependant, la disparition assez longue (17 ans) de la pièce de l’espace public, ainsi que sa transformation en une version édulcorée par Thomas Corneille constituent une censure de fait. Et les transformations du texte, dans sa réécriture par Thomas Corneille et dans sa publication expurgée en 1682 ont des liens manifestes avec l’attaque que constituaient les Observations : par exemple, celles-ci mettaient en cause l’exclamation finale de Sganarelle réclamant « ses gages » et les deux versions ci-dessus font disparaître ce passage. Du point de vue des querelles, il y a donc bien une dimension religieuse en débat.
Les Observations ont d’ailleurs trouvé un écho dans l’attaque de Conti dans son Traité de la comédie en 1666. La mise en cause porte sur la capacité du théâtre de Molière à constituer une « école d’impiété et d’athéisme ». Sont notamment incriminés deux faits : l’un, que les propos libertins soient mis dans la bouche d’un jeune aristocrate brillant alors que la défense de la religion est confiée à Sganarelle, valet stupide et ridicule ; l’autre que la punition du libertin à la fin soit due à une « fusée ridicule », un artifice scénique que le public ne peut en aucun cas prendre au sérieux.
La querelle inclut aussi un lien avec le Tartuffe et les condamnations dont il a été l’objet. Et il est de fait que Molière, quand il traite la légende de Don Juan, la modifie en faisant de son personnage, au cinquième acte, un hypocrite faux-dévôt, ce qui revient sur le sujet même du débat concernant le Tartuffe.
Les textes favorables à Molière, la Réponse et la Lettre, soutiennent deux arguments. D’une part, que c’est l’attaque contre Tartuffe qui se prolonge contre Dom Juan, alors qu’elle n’a pas lieu d’être. D’autre part, que les conditions mêmes de la fiction comique autorisent et même imposent de placer des paroles libertines dans la bouche du personnage pour pouvoir le punir à la fin.
Reste que Dom Juan est une pièce qui fait dire à des critiques d’aujourd’hui que Molière est un « dramaturge libertin » avec des arguments fondés.
Enfin, dans cette querelle, la question de l’issue, du jugement, reste ouverte : le fait que la pièce n’ait été ni reprise ni éditée par Molière lui-même semble indiquer qu’il s’est trouvé en danger devant ces critiques. Mais le fait de savoir s’il y a bien là libertinage ou non est en soi insoluble.
Chronologie
Chronologie
• Dimanche 15 février 1665 : Représentation par la troupe de Molière (Troupe des comédiens de Monsieur, frère du Roi) du Festin de pierre.
• 5 mars 1665 : dépôt d’une demande de privilège
• 20 mar 1665 : Dernière représentation du Festin de pierre.
• Avril 1665 : Observations sur la comédie de Molière intitulée Le Festin de pierre, par le sieur de Rochemont.
• Mai 1665 : enregistrement du privilège du Festin de pierre, par Louis Billaine, libraire-imprimeur, auprès du Syndic des Libraires.
• Eté 1665 : Réponse aux observations touchant « Le festin de pierre » de Monsieur de Molière.
• Eté 1665 : Lettre sur les observations d’une comédie du sieur Molière intitulée « Le festin de pierre ».
• 1674 : Edition à Amsterdam d’un Festin de pierre attribué à Molière mais qui est en fait une pièce de Dorimond sur le même sujet.
• 12 février 1677 : représentation d’une version refaite, en vers, par Thomas Corneille, du Festin de pierre.
• 1682 : Ed. des Œuvres de M. de Molière, avec au tome VII Dom Juan ou le festin de pierre, texte expurgé de plusieurs passages.
• 1683 : A Amsterdam, le libraire Henri Wetstein donne le texte d’origine du Festin de Pierre.
Noms propres
Noms propres
Références
Références
Corpus
• Rochemont, le sieur de, Observations sur la comédie de Molière intitulée Le Festin de pierre, Paris, Nicolas Pépingué, 1665.
• [Ano] Réponse aux observations touchant « Le festin de pierre » de Monsieur de Molière, Paris, Gabriel Quinet, 1665.
• [Ano] Lettre sur les observations d’une comédie du sieur Molière intitulée « Le festin de pierre », Paris, Gabriel Quinet, 1665.
• Conti, Armand de, Traité de la comédie et des spectacles selon la tradition de l’Eglise, Paris, Louis Billaine, 1666.
• Molière, Le Festin de pierre, Amsterdam, Henri Wetstein, 1683.
• Œuvres de M. de Molière, t. VII, Dom Juan ou le festin de pierre, Paris, Barbin, Thierry et Trabouillet, 1682.
Bibliographie critique
• Georges Forestier (éd.), Molière Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, 2010 (tome II) . La notice de Dom Juan et les documents annexes font le point sur les faits et proposent une interprétation.
• Anthony Mac Kenna, Molière dramaturge libertin, Paris, Champion, 2005
Liens
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